… et que rien ne change
Galerie ARTAE – Lyon
2012
Acrylique sur toile
Des trois étapes de la fleur, Elisabeth Gilbert Dragic aime à représenter le dernier,...
… quand le temps a fait son œuvre et que la fleur, alors fanée, raconte plus qu’elle ne parait.
Peindre des fleurs en 2012… L’artiste elle même se questionne sur cette pratique aussi irrépressible que connotée. Les fleurs sont pour elle un support, une figure de style, faussement sage, faussement naïve.
Des fleurs dramatiques et pourtant si belles… des fleurs si belles et pourtant si dramatiques…
« …et que rien ne change. »
Cette exposition s’installe comme un pied de nez à notre civilisation emprunte de progrès, cet instinct aussi confortable que destructeur…
« …et que rien ne change. »
Ce thème développe l’utopie d’un instant suspendu, d’une narration non terminée, d’une latence sourde, d’une histoire réfléchie à venir. Et si ce féminin affirmé, qu’évoquent les fleurs, attendait son tour, en espérant secrètement que tout change ?
L’exposition présente la dernière série de peintures de l’artiste, une vidéo et une installation en céramique dans la même veine que son Fragment d’épines de rose primé en 2012 par la Biennale de Vallauris.
Alors oui, Elisabeth Gilbert Dragic a besoin des fleurs, de les étreindre, de les peindre, de les malmener, jusqu’à ne plus pouvoir …
Marlène Girardin, historienne de l’art
Le travail d’Elisabeth Gilbert Dragic représente essentiellement des fleurs.
Celles-ci sont un support pour aborder les rapports hommes/femmes, la religion, le temps qui passe, qui “fane”, et de quelles façons toutes ses questions se transmettent. Cette exposition “…et que rien ne change” marque une sorte de transition lente vers peut être une nouvelle écriture de l’artiste avec la présence de personnages dans son travail. Ce titre signifie à la fois le coté confortable d’un temps qui ne changerait pas, mais aussi tout le souhait confus de son contraire.
L’exposition s’ouvre avec la Couronne de ronces, sculpture-installation en céramique évoquant évidement la couronne d’épines du christ. Sa situation au sol, ou presque, représente la descente du piédestal… un questionnement sur l’influence de la religion concernant les fondements de notre civilisation occidentale.
Quant à Nature morte à la rose, elle fait figure de transition avec la précédente série de l’artiste qui représentait des fleurs ensevelies dans la peinture blanche. Couleur blanche/page blanche, autre recommencement ainsi qu’un questionnement sur qui modèle qui, en écho aux rapports humains.
Les trois toiles Pivoines dans l’atelier représentent des pivoines au sol, dans l’atelier de l’artiste. Ils sont emprunts d’une sensualité sexuée et “froufroutante” mais aussi d’une notion d’instantanéité. Ces toiles sont aussi une manière pour l’artiste d’interroger sa propre pratique picturale… et que rien ne change ?
Les deux toiles intitulées Annonciation – Lys dans l’atelier – représentent un lys à terre, alors que cette fleur symbolise dans l’histoire de l’art la pureté de Marie à qui l’ange Gabriel vient annoncer qu’elle sera la mère du Christ. Ces toiles fonctionnent avec l’Annonciation – la madone d’Ishinomaki. Cette dernière reprend une image très diffusée parce que libre de droits, par la presse française et internationale pendant le tsunami et l’explosion de la centrale de Fukushima. Le gouvernement japonais avait décidé de “l’offrir” au monde. Qu’en est-il ? Une femme recouverte d’une couverture pose entre les débris, elle devient aux yeux d’Elisabeth Gilbert Dragic une Madone du chaos, tout en évoquant le radeau de la Méduse dans sa composition, sorte de représentation d’une société perdue. En aurait-il été de même si cette photo “livrée en pâture” à la presse internationale avait représenté un homme ? Une manière d’interroger là aussi la représentation de l’icône dans notre civilisation occidentale. La religion, tout comme les médias, jouent un rôle insinueux mais extrêmement présent dans la façon dont les rapports hommes/femmes s’articulent…
Ce moment suspendu devient plus cinématographique avec la présence des bandes noires dans Speculum dominarum. Cette peinture fait figure de manifeste pour Elisabeth Gilbert Dragic vu le nombre de thèmes qui s’y croisent. L’histoire de la toile commence alors que l’artiste, lors d’un rendez-vous chez son gynécologue, ayant les cheveux courts et un nœud autour du cou, a l’impression de revivre la scène représentée dans l’Olympia de Manet peint en 1862 ayant fait scandale au Salon de 1863 ; Manet ayant oséreprésenter une “vraie” femme. 150 ans après, la servante est remplacée par le gynécologue ; le bouquet de fleurs que cette dernière amène à Olympia, par une toile d’Elisabeth Gilbert Dragic acquise précédemment par son gynécologue ; le chat par l’appareil d’échographie à la “queue” relevée. Manet peintre masculin représente un modèle féminin de mœurs légères ; ici, le peintre et le modèle sont une seule et même femme. Sa posture n’est évidemment pas anodine puisque le cabinet gynécologique est précisément un lieu où les femmes prennent un certain nombre de décisions qui changent leurs vies. Cette toile pose aussi la question de la représentation du nu des femmes, utilisé aisément par nos médias pour vendre n’importe quel produit, alors qu’il s’agit aussi de “vraies” femmes avec des proches certainement gênés de voir leur fille, leur sœur, leur épouse ainsi.
Le titre est également important puisque le speculum (miroir), est l’ustensile indispensable à un examen gynécologique, tandis que “speculum dominarum” signifie le miroir aux dames et était le nom donné à une sorte de manuel de bonne conduite écrit au milieu du XIVème siècle par Durand de Champagne, un franciscain, à l’attention des jeunes femmes de la noblesse, pour donner l’exemple à l’ensemble de la population. Ainsi le thème féministe combiné au thème de l’histoire de la peinture, ne pouvait qu’être une étape importante dans cette exposition.
Autre manifeste important, Le Bouquet de la Jardinière, une vidéo interprétant “La Jardinière”, généreuse peinture de fleurs du XIXè de Simon de St Jean, (collection du Musée des Beaux-Arts de Lyon) où l’on voit Elisabeth Gilbert-Dragic assise dans son atelier, “prenant à bras” le plus de fleurs possible jusqu’à n’en plus pouvoir.
Enfin, la toile L’Annonciation, Je vous salue, maris fait quant à elle référence à un texte provocateur et extrémiste de Nelly Kaplan qui imagine un monde où les femmes auraient pris totalement le pouvoir. Féministe à outrance, ce texte est bien plus violent que cette peinture où Elisabeth Gilbert Dragic semble proposer une trêve, un nouveau départ sur des bases peut être plus égalitaires. La peinture fonctionne à l’inverse de sa vidéo : cette fois-ci, c’est elle qui donne la fleur de lys…